6 janvier 1940
Le pétrolier s/s « British Liberty » a touché une mine à 4 miles N.E du Dyck 6 janvier 1940 à 16h20
Il est 16h45, la marée vient de finir, je reçois l’ordre de mettre mon équipage libre mais prêt à appareiller à 19h 45, et d'attendre pour cette heure un officier de marine qui doit prendre passage à mon bord sans autres indications.
19h45 le remorqueur Trapu est prêt, le petit remorqueur dogue vient s’amarrer en couple.
Je demande au capitaine Delahaye les ordres qu’il a reçus, celui-ci répond
Je dois suivre le TRAPU mais surtout, capitaine Salomont, faites-en sorte de régler votre marche sur la mienne car le temps étant fort brumeux, il me serait difficile de me diriger.
Entendu, ce sera fait .
20h05. Arrive Raoul, enseigne de vaisseau de réserve que je connaissais très bien, ayant été pilote du port de Dunkerque, il me dit
Venez, Salomont, j’ai une communication à vous faire.
Aussitôt dans la chambre de veille, voici ce qu’il me dit : nous avons ordre de nous rendre au large de Calais au secours d’un pétrolier en dérive dans un champ de mines, lui ayant occasionné des avaries. La manœuvre est délicate vu le champ de mines dans lequel se trouve ce navire, il faut faire votre possible pour sauver ce bateau. Je demandai alors à M. Raoul s’il avait un plan des mines, et par combien de fond elles étaient mouillées ; après sa réponse affirmative, comme je savais l’heure de la pleine mer par un calcul mental et ayant une grande habitude des marées, je lui répondis : il est grand temps de partir. Ce que je fis aussitôt, suivi du petit remorqueur, presque pas de vue, M. Raoul me dit: j’ai bourlingué toute la journée, je suis crevé, je compte sur votre grande expérience des passes pour m’aider à ce travail. Entendu, fut ma réponse.
De bouée en bouée, notre marche se fit dans de bonnes conditions, mon équipage ne sachant toujours rien de ce que nous allions faire ainsi que l’équipage du DOGUE, qui nous suivait toujours et à qui j’avais reçu ordre de ne rien dire.
A 22h35, une noirceur se détacha dans la brume puis une petite lumière en dehors de la passe, je dis à Raoul c’est le pétrolier : regard sur la montre et coup de sonde, tout va bien aussi, tribord et route droit sur le BRITISH LIBERTY.
Celui-ci était mouillé. M. Raoul interpelle le capitaine anglais qui aussitôt nous ordonna de lui passer les remorques, ce qui se fit en un instant. Les deux remorques établis, le TRAPU à bâbord avant et le DOGUE à tribord avant, la manœuvre de virage d’arrière commença. Lorsque l’ancre fut à poste, je mis la machine de mon remorqueur toute puissance et mis le cap au sud à seule fin de dégager le plus vite possible le pétrolier de ces parages dangereux pour le remettre en passe, mais à peine avions nous parcouru 200 m que soudain une terrible explosion se produisit.
Je crus que c’était le Trapu qui avait touché une mine allemande tellement nous fumes secoués mais non, c’était le pétrolier. M'étant à peine rendu compte, que suivit une 2ème explosion puis une 3ème. Alors, voyant le grand danger que nous courions, je donnai ordre de larguer la remorque qui n’était que d'une trentaine de mètres de longueur, ce qui faisait que nous étions sous une pluie de feu.
Au moment de larguer, une 4ème explosion se fit entendre, celle là sous le gaillard d’avant du pétrolier nous vîmes le guindeau sauter en l’air, et tout à coup une énorme flamme en un instant envahit le BRITISH LIBERTY de l’avant à l’arrière, formant autour de ce dernier une énorme nappe de feu, la mer étant houleuse, houle de brume.
Après conciliabule, M. Raoul décida de quitter mon remorqueur, celui-ci calant 4m40 et la mer baissant, il y avait danger de sauter sur une mine, il embarqua sur le petit remorqueur DOGUE ne calant que 3m d’eau. Ensuite tout en observant la manœuvre du DOGUE, je me tins en bordure du champ de mines, mon embarcation prête à toute fin utile.
Nous restâmes ainsi deux heures sur les lieux du sinistre cherchant en vain des hommes de l’équipage du pétrolier, mais hélas sans sursis, impuissants devant ce mur de feu et de fumée.
Quand tout fut englouti, M. Raoul rembarqua à mon bord et nous fîmes route au port de Dunkerque où à notre arrivée M. Raoul tint à ce que j’aille avec lui voir l’officier supérieur qui était de quart au sémaphore lequel nous félicita chaudement de l’acte de bravoure que nous venions d’accomplir.
En cette circonstance je tiens à souligner ici tout le courage du personnel équipage des deux remorqueurs.
Sources
Archives Gorisse Salomont
Site Dunkerque épaves
Crédit photo Famille Gorisse Salomont - Dk épaves - SIRPA/ECPA France
British Liberty
8,435 tonneaux de la Société British Tanker Company
nationalité : Britanique
date de construction : 1939 à Haverton
pétrolier
propulsion : bateau à moteur (diesel)
dimensions : 142,3 x 18,9 x 10,4
moteur : 1 x 2 SCSA 4cyl. Moteur diesel,
puissance : 687 ch vitesse : 11 noeuds
Cette tentative de sauvetage s'inscrit dans la SAGA de Thomas.
Cette saga continue maintenant dans les pages de sorties en mer de janvier 1940 à la fin de l'opération dynamo - 4 juin 1940.
Les sauvetages opérés par Thomas et ses hommes seront diffusés avec un décalage de 80 ans.
Commandant remorqueur
Thomas Salomont
Armement du Trapu
Commandant du Dogue
Delahaye
Armement du Dogue
Observateur
Raoul
Retrouvez la
saga de Thomas ici
Selon le chef mécanicien Albert Pund, si le Trapu a pu entrer dans le champ de mines pour sortir le pétrolier c’est grâce à son faible tirant d’eau bien inférieur à celui du British Liberty.
Ceci à permis au remorqueur de ne pas être victime des mines allemandes.
Malgré l’échec du sauvetage sur un plan humain, à la désolation de l’équipage du Trapu qui a risqué sa vie cette bravoure a été recompensée par une Légion d’Honneur et un Mérite Maritime
Sources
Archives familiales famille Gorisse-Salomont
Mémoire orale famille Pund
Site DKépaves